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JEAN-PIERRE MOCKY, réalisateur, scénariste, acteur et producteur de cinéma français. Son portrait devant l'autel
Lundi 12 Août 2019
10h30, c'est l'heure de la cérémonie d'hommages au grand réalisateur du cinéma français à l'église Saint-Sulpice à Paris dans le 6e arrondissement.
Un quartier que je fréquente souvent et que j'adore. Entre le jardin du Luxembourg, l'église Saint-Sulpice, ses deux tours et sa fontaine, les petites rues de Saint-Germain des Prés et sur son Boulevard ses célèbres cafés, pour en citer quelques uns : les Deux Magots, le Café de Flore, la Rhumerie.
Il est 10h lorsque j'arrive sur la Place Saint-Sulpice. Je contourne sa célèbre fontaine, passe devant la foule amassée face à l'église et je monte les marches attirée par le son de la musique qui arrive à mes oreilles. C'est un orgue de barbarie qui joue "Paris Jadis", ode au Paris populaire me dit-on..
Puis à 10h30 le cercueil du cinéaste Jean-Pierre Mocky fait son entrée dans l'église sous les airs de "La complainte de la butte".
Dans l' Paris des républiques / L'accordéon nostalgique / A semé bien des musiques / Dont il reste des échos / Dans nos cœurs, y a des rengaines / Dont les rimes incertaines / Se prenaient pour du Verlaine / Du Bruant ou du Carpeaux /
En haut de la rue St-Vincent / Un poète et une inconnue / s'aimèrent l'espace d'un instant / Mais il ne l'a jamais revue / Cette chanson il composa / Espérant que son inconnue / Un matin d'printemps l'entendra / Quelque part au coin d'une rue / La lune trop blême / Pose un diadème / Sur tes cheveux roux / La lune trop rousse / De gloire éclabousse / on jupon plein d'trous / La lune trop pâle / Caresse l'opale / De tes yeux blasés ...
Me voici à droite de l'autel. Je peux apercevoir la famille et les personnalités. L'église est pleine, beaucoup d'inconnus sont venus se recueillir en mémoire à ce grand réalisateur. Mais "Un drôle de paroissien" dit le curé tout en évoquant le titre d'un de ses premiers films, il nous raconte quelques moments de sa vie.
Après l'oraison et des chants religieux viennent rapidement les discours des proches.
Le discours touchant de sa fille Olivia.
" Il nous avait convaincu qu'il vivrait jusqu'à cent ans, le temps de faire encore quelques films. Son départ, si soudain, est un choc, même à 90 ans "Même parti, il nous réserve encore des surprises. Vous ne le voyez pas, mais il porte une veste orange pétante, un chapeau sur la tête, un pantalon de camouflage qu'il adorait et un caleçon Playboy.
« Ce n’était pas facile de suivre sa vie, mais je ne l’aurais échangé contre rien au monde. Quand j’étais petite, il me montrait des films jusqu’à 5heures du matin ; rien n’était normal avec lui mais c’est ça qui était génial.
On n'a qu'un père et pour remplacer son absence, à nous ses enfants de faire vivre son cinéma et de faire découvrir au public les films méconnus
"Jean Pierre vous étiez un homme libre, passionné, si drôle, attachant, atypique, dérangeant, de mauvaise fois, provocateur souvent mais jamais dans le déni ce qui nous provoquait des fous rires car vous nous connaissiez par coeur. Vous n'êtes jamais rentré dans les rangs c'est-à-dire que vous faisiez partie d'une espèce en voix de disparition.
Vous me disiez à chaque film vous êtes la seule à m'avoir apporté un César. J'ai pensé de suite à vous l'offrir aujourd'hui mais j'ai vite réalisé que vous préféreriez un vrai pack de bière et quelques cigarettes.
Vos grands amis comédiens et comédiennes vous attendent déjà avec impatience pour commencer votre prochain film et nous serons nombreux à entendre : MOTEURRR qu'est ce qu'ils foutent tous ces cons.
Je l'adorais"
Voici quelques bribes de témoignages émouvants de ceux qui ont travaillé avec lui (mais j'ai pas bien pu déchiffrer tout mon enregistrement dans l'église.. dommage.)
"J'ai de si beaux souvenirs avec toi, des voyages avec toi, je ne pensais pas que je n'allais jamais plus te revoir."
"Jean-Pierre je l'ai rencontré dans ma vie je vous remercie de m'avoir fait confiance on a travaillé avec Antoine avec tous les autres, je n'ai jamais vu un réalisateur aussi heureux pour préparer et tourner un film, tu me manqueras toujours mais on verra tellement sa vie ... . Vive la liberté, vive Jean-Pierre"
Puis l'hommage très touchant d'Antoine, un de ses techniciens.
"Nous ses techniciens, quinze ans à ses côtés. J'ai rencontré Jean-Pierre en 2004. Un jour de repos Jean-Pierre m'amène dans un petit resto il commence un film dans deux semaines il cherche un régisseur. Je me suis proposé.. au fait je lui ai fait croire que j'avais vu tous ses films, sauf un, "L'Ibis rouge" un titre que j'avais pris au hasard. juste histoire que ça sonne vrai. Après ça il m'a présenté comme un grand fan de ses films. J'ai été pris et j'ai du coup vu "L'Ibis rouge" ... mais quel film ce sera mon préféré.
J'ai adoré cet homme une des personnes les plus importantes de ma vie, un père de cinéma le meilleur des écoles et surtout un homme, un homme vraiment bien. Il me disait tout le temps, allez casse toi il faut que tu fasses ton interprète. Je vais y penser Jean-Pierre c'est promis. Si j'arrive à tourner des films, si j'arrive à tourner mon premier film, ça c'est sur il y aura toujours une part de toi en moi. Alors merci.
Un dernier très beau témoignage d'un de ses collaborateurs.
"Il avait une telle application pour monter ses films, s'il avait été un sportif il aurait été un sportif de très haut niveau de ceux qui forcent le respect d'un gardien... Jean-Pierre Mocky laisse une oeuvre unique et un vide énorme pour ses fidèles collaborateurs, assistants, techniciens qui sont restés comme aimantés comme le disait Antoine, aimantés par lui depuis des dizaines d'années parfois mais aussi des régions comme Saumur.
Autour de lui a révélé des apprentis, régisseurs, décorateurs, costumiers, coiffeurs, figurants, petits rôles, au travers de plus de 40 films tournés en Saumurois. Il a créé un véritable Mocky Circus.
Le cinéma c'est avant tout du rêve, il a permis à des centaines de personne de passer du rêve à la réalité en leur donnant la chance de faire leur premier pas dans le cinéma, impensable jusque là.
Profondément humain il appelle les figurants par leur prénom. Il a aussi ce regard curieux vers les autres qui a fait de lui au-delà de son art cet homme profondément attachant qui a su révéler une partie invisible avec simplicité une partie invisible de nous-même.
Merci Jean-Pierre, tu as changé notre vie."
Vladimir Cosma, Dominique Lavanant, Franck Riester, Ministre de la Culture et Michael Lonsdale, acteur, qui a tourné 9 films avec Jean-Pierre Mocky. Très ému au micro pour dire quelques mots, parle de sa complicité avec Jean-Pierre.
Quelques notes, je reconnais "Le beau Danube bleu", cette valse tout en douceur nous enveloppe durant quelques instants
Vladimir Cosma, son compositeur fétiche, interviewé : "Pour moi il n'est pas mort, je travaillais hier soir sur son dernier film. Je l'ai eu il y a deux semaines au téléphone, il était dans son lit et il me dit : "Ah, il me faudrait une très belle valse".
J'aimais écouter les interviews de Jean-Pierre Mocky, ses coups de gueule, son franc-parler m'amusaient.
De cette cérémonie religieuse, je garde en souvenir l'extrême douceur du visage de sa fille, Olivia.
Dans sa longe robe blanche fleurie, elle n'arrêtait pas de caresser de sa main son petit ventre rond, comme si elle voulait faire partager à son bébé ces derniers moments près de son grand-père, qu'il ne connaîtra pas, et à son papa, son petit-fils ou fille, qu'il ne pourra pas voir.