Mardi 12 janvier
La cérémonie est à 10h30 à l'église Saint-Roch, l'église des artistes, rue Saint Honoré à Paris.
Il est 10h, je sors du RER à Musée d'Orsay, je vais traverser le jardin des Tuileries en empruntant la passerelle de Solférino qui surplombe la Seine.
J'aime beaucoup ce parcours, malgré le temps gris et les arbres sans feuilles. Il n'y a personne dans le jardin à cette heure matinale; tout est calme. Je presse le pas.
Me voici arrivée face à l'église; les photographes sont déjà à pied d'oeuvre.
Je monte les marches, à mes côtés une jeune femme arrive avec son enfant dans une poussette, qu'elle prend à bout de bras pour grimper les escaliers.
Je suis étonnée, pas de fouille à l'entrée.
J'emprunte l'allée de droite et avance au plus près de l'autel.
Beaucoup de personnalités sont présentes. Arrive Jean-Paul Belmondo, accompagné de son fils, Paul, puis Jean-Pierre Marielle, Patrick Préjean... Non loin de moi, Patrick Fiori.
Lors de la cérémonie on peut entendre "In paradisum" de Gabriel Fauré, "La valse triste" de Sibelius, La "Valse n°7" de Chostakovitch. Un homme entonne a capella un chant corse: superbe.
Viennent ensuite des prises de paroles de la famille, plus intimes.
Je retiendrais celles de ses amis du théâtre, Antoine Duléry et Philippe Caubère.
Antoine Duléry prend la parole. J'écoute avec intérêt le texte qu'il a écrit pour son ami Michel:
"Tu avais commencé ta carrière avec mon grand père Albert Réval ex-pensionnaire de la Comédie Française malheureusement jamais connu.
Enfant je n'avais de lui que des albums photos des images silencieuses avec toi et plus tard lorsque tu m'as raconté votre amitié et vos tournées mémorables en Algérie qu'il imitait si bien que j'ai découvert sa voix grâce à toi.
Merci Michel pour cette mémoire, pour cette précieuse transmission . Toi et moi nous n'avons pas joué ensemble mais je te suis reconnaissant d'avoir accepter de me rencontrer un soir dans ta loge. J'étais si fier que tu puisses me raconter des souvenirs d'acteur avec Albert dans un genre dandin hallucinant avec le tout jeune Jean Paul Belmondo. Et quel bonheur de rencontrer ta famille, tes fils, ta fille Emmanuelle avec qui depuis nous nous appelons "cousin".
Comment oublier ton humour ta voix si puissante, ton accent inimitable. Tu faisais tout revivre, les rues d'Alger, les représentations en plein air et tu avais soudain 20 ans. Cette énergie inépuisable ne t'as jamais quitté.
Tu disais le métier de comédien est un métier de feignant et pourtant personne n'a jamais autant travailler que toi.
En pensant à toi, Michel, me revient en mémoire ce vers de Guitry que tu aimais tant dans Debureau:
" A ceux qui font sourire on ne dit pas merci, laisse la gloire a ceux qui font pleurer
on se souvient toujours si mal de ceux qui nous ont fait du bien".
Le bonheur que tu nous a donné cher Michel on s'en souviendra toujours. Ton rire magnifique raisonne encore en nous et pour toujours."
Puis Phlippe Caubère monte "sur scène". Je l'écoute avec attention:
J'inclus dans mon reportage un paragraphe de sa longue lettre qui m'a le plus marqué.
Je cite "sa colère envers le théâtre subventionné" :
...Mais dans un théâtre, gouverné par les seuls metteurs en scène mise en coupe pour régler, dominer, séquestrer par eux, et à travers eux, par les hommes politiques dont ils sont les agents, les obligés, ce sont eux qui les nomment, les démettent, les favorisent ou les défavorisent. Dans ce monde qui n'est plus celui du théâtre, mais celui de la culture et de l'éducation, l'acteur n'a plus sa place
Michel n'a jamais joué au théâtre de la Colline, à Chaillot, à Nanterre à l'Odéon, dans ces temples du théâtre contemporain.
Il a joué dans de beaux théâtres, très beaux : à Mogador, au Théâtre Antoine, au Palais Royal, à Hébertot, et bien d'autres à Paris comme en tournées, mais dans les lieux du théâtre artistique et subventionné, depuis sa lointaine jeunesse. JAMAIS.
Sauf une fois où, par la grâce et l'intelligence de Jerôme Savary, on l'y a invité et laissé faire. On s'en souvient encore, c'était : "LA FEMME DU BOULANGER" .
Je ne peux pas oublier, ni taire aujourd'hui, que j'avais écrit au tandem qui dirigeait alors le festival d'Avignon, que Michel, en secret rêvait d'y retourner, avant de mourir. Il voulait y rejouer dans ce lieu ou il avait partagé l'aventure de Jean Vilar, la Cour d'Honneur du Palais des Papes. Et je leur avais suggéré de consacrer deux heures, pas même : une heure et demi d'une nuit, pour y donner "Jules et Marcel" et y faire entendre les voix de Pagnol, de Raimu, de Galabru, et d'un quatrième! au public d'Avignon. On ne m'a jamais répondu
Je ne le raconte pas par esprit de rancune, encore que.. mais pour essayer de dire à quel point je pense la dérive grave et l'art du théâtre aujourd'hui dévoyé. Comme je n'oublie pas non plus que pendant quatre ans, il refusait contrats et tournées, pour se tenir prêt à jouer avec Gérard Depardieu, dans un film sur Clemenceau qui ne s'est jamais fait.
C'est dans ce monde là que Galabru tel Gulliver sur l'île de Liliput, a joué, ramé, galéré, cachetonné, et pourtant finalement triomphé.
Par bonheur il nous reste des films qui gardent ton reflet terrestre, le poids de ta démarche et l'orgue de ta voix. Ainsi tu es mort, mais tu n'as pas disparu. Tu vas jouer ce soir dans trente salles et des foules vont rire et pleurer ; tu exerces toujours ton art, tu continues à faire ton métier, et je peux mesurer aujourd'hui la reconnaissance que nous devons à la lampe magique, qui rallume les génies éteints, qui refait danser les danseuses mortes, et qui rend à notre tendresse le sourire des amis perdus.
SALUT MICHEL"
Obsèques de Michel Galabru : la sainte colère de Philippe Caubère
Lors des obsèques du comédien en l'église Saint-Roch, son ami et confrère qui avait joué avec lui Jules et Marcel, lui a rendu un filial hommage. Mais il a aussi accusé le théâtre subventio...
Pour les personnes qui veulent lire la tirade complète de Philippe Caubère, cliquez sur le lien ci-dessus.
Je reste très émue de ce bel hommage, émouvant et très fort, de Phlippe Caubère à son ami Michel Galabru. Je comprends sa colère face à l'assemblée au fur et à mesure de sa lecture:
Le regret de Michel Galabru qui n'a jamais pu jouer dans les théâtres subventionnés; ou encore le rôle qu'il espérait jouer avec Gérard Depardieu, et qui ne s'est jamais fait.
Jamais je n'avais entendu d'applaudissements à la fin des discours dans une église, mais là, toute l'assistance l'a ovationné.
Fleur Pellerin, Philippe Caroit, Antoine Duléry, Patrick Préjean, Jean-Pierre Marielle, Bernard Menez, Henry-Jean Servat, Catherine Lachens, Robert Hossein, Pierre Douglas
Après la cérémonie me voici à Montmartre.
Je veux passer au théâtre de Michel Galabru. Un petit pèlerinage, pour le connaitre et m'y recueillir.
Des jeunes sont en train de répéter.
On y joue toujours des comédies, des spectacles musicaux, des spectacles pour enfants, des one-man shows.
Michel Galabru repose désormais au cimetière de Montmartre.