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Jean d'Ormesson et son regard espiègle (ma photo prise lors de l'hommage national à Maurice Druon en avril 2009).
"Il aimait les bains de mer, il aimait les bains de soleil"
C'est sur ces mots qui me ressemblent, que j'ai appris la mort de Jean d'Ormesson en allumant la radio ce mardi 5 décembre 2017.
Vendredi 8 décembre:
Je vais me rendre aux Invalides où sera rendu un hommage national à l'Académicien Jean d'Ormesson.
Je n'arrive que vers 11h30 à la Cathédrale Saint-Louis des Invalides. Je pense que c'est un peu tard pour pouvoir assister à la cérémonie religieuse.
C'est bien ce que je pensais, la cérémonie est commencée alors on ne me laisse pas entrer dans la cathédrale ; dommage, je me suis levée trop tard.
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On me conseille d'aller directement dans la cour d'honneur des Invalides pour assister à la cérémonie qui commencera vers midi.
Pour le moment il y a peu de monde dans la cour. Je laisse sur ma gauche une tente blanche qui abrite des musiciens. En effet, le temps est menaçant et se partage entre nuages et éclaircies ; il fait très froid et il commence à pleuvoir ; je dois ouvrir mon parapluie.
Je vais remonter jusqu'au début de la cour afin de me placer non loin de la tribune où le Président Emmanuel Macron lira son discours.
Maintenant la messe doit être finie, la cour se remplie de personnalités, d'anciens présidents que j'aperçois de loin.
Je vois arriver sur ma droite, par la grande porte qui donne sur l'esplanade des Invalides, Gérard Larcher et François Hollande.
La voiture du Président de la République arrive. Brigitte Macron en descend puis le Président suivi de la Ministre des Armés, Florence Parly.
Le Président avance d'un grand pas et va saluer les troupes puis la famille et les personnalités.
La Marseillaise retentit.
Le cercueil de l'écrivain porté par des gardes républicains entre dans la cour.
Il est posé à même le sol, ce qui me choque toujours.
Emmanuel Macron se dirige vers la petite tente juste en face d'où je suis.
Il va lire le discours qu'il a préparé en l'honneur de Jean d'Ormesson.
Dans ce froid glacial je vais essayer de faire quelques photos. J'ai les mains gelées et j'ai oublié de prendre mes gants. Ma voisine est sympa: elle me prête un de ses gants.
Je cite quelques paragraphes de son discours :
"Si claire est l'eau de ces bassins, qu'il faut se pencher longtemps au dessus pour en comprendre la profondeur». Ces mots sont ceux qu'André Gide écrit dans son Journal à propos de la Bruyère. Ils conviennent particulièrement à Jean d'Ormesson.
Car plus qu'aucun autre il aima la clarté. Celle des eaux de la Méditerranée, dont il raffolait, celle du ciel d'Italie, celle des maisons blanches de Simi, cette île secrète des écrivains. Celle des pentes enneigées et éclatantes où il aimait à skier, comme celles des criques de la côte turque, inondées de soleil".
"Ne fut-il pas lui-même un être de clarté ? Il n'était pas un lieu, pas une circonstance que sa présence n’illuminât. Il semblait né pour donner aux mélancoliques le goût de vivre et aux pessimistes celui de l'avenir", déclare Emmanuel Macron à propos de Jean d'Ormesson. Ce fut un égoïste passionné par les autres."
"Cette grâce lumineuse, contagieuse, a conquis ses lecteurs qui voyaient en lui un antidote à la grisaille des jours. Paul Morand disait de lui qu'il était un «gracieux dévorant», rendant la vie intéressante à qui le croisait. C'est cette clarté qui d'abord nous manquera, et qui déjà nous manque en ce jour froid de décembre.
Jean d'Ormesson fut ce long été, auquel, pendant des décennies, nous sommes chauffés avec gourmandise et gratitude. Cet été fut trop court, et déjà quelque chose en nous est assombri".
La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l'allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d'indignité. On y vit le signe d'une absence condamnable de sérieux ou d'une légèreté forcément coupable. Jean d'Ormesson était de ceux qui nous rappelaient que la légèreté n'est pas le contraire de la profondeur, mais de la lourdeur.
Comme le disait Nietzsche de ces Grecs anciens, parmi lesquels Jean d'Ormesson eût rêvé de vivre, il était «superficiel par profondeur».
Évoquant, dans un livre d'entretien, votre enterrement, vous aviez écrit:
«À l'enterrement de Malraux, on avait mis un chat près du cercueil, à celui de Defferre c'était un chapeau, moi je voudrais un crayon, un crayon à papier, les mêmes que dans notre enfance. Ni épée, ni Légion d'honneur, un simple crayon à papier.»
"Cette cérémonie, Monsieur, nous permet de manifester notre reconnaissance et donc nous rassure un peu. Du moins puis-je, au nom de tous, vous rester fidèle en déposant sur votre cercueil ce que vous allez et ce que vous aviez voulu y voir, un crayon, un simple crayon, le crayon des enchantements, qu'il soit aujourd'hui celui de notre immense gratitude et celui du souvenir."
Emmanuel Macron dépose un simple crayon sur le cercueil: "Un crayon, un simple crayon, le crayon des enchantements"
La Marseillaise retentit une seconde fois dans la cour des Invalides. Moment de recueillement du Président face au cercueil.
Les premières notes de la "Marche funèbre" résonnent dans la cour d'honneur pour accompagner le départ du cercueil. Cette musique me donne toujours la chair de poule.
Puis Renaud Capuçon joue un air de violon:
Le concerto pour piano numéro 21 de Mozart interprété par les musiciens de la garde républicaine accompagnera le départ du cortège.
Je viens d'assister à une très belle cérémonie, un très beau discours du Président de la République et ce simple crayon posé sur le cercueil qui évoque tant de choses...
Un très bel hommage à un grand homme.
Et quelle coïncidence, Jean d'Ormesson expliquait dans une émission qu'il ne valait mieux pas mourir en même temps qu'une autre personnalité.
"Un écrivain doit faire attention à tout ce qu'il écrit, à tout ce qu'il dit et il doit faire attention à la façon dont il meurt".
Et pour illustrer cette pensée, il prend l'exemple suivant : "C'est très mauvais pour un écrivain de mourir en même temps qu'Edith Piaf. Elle a pris toute la lumière pour elle et on n'a pas beaucoup parlé de Jean Cocteau".
Il ne se doutait certainement pas qu'une légende populaire prendrait sa place dans l'actualité dès le lendemain de sa disparition. C'était Johnny Hallyday.
J'aimerais enfin évoquer les dernières phrases écrites par Jean d'Ormesson, et retrouvées sur son bureau:
"Une beauté pour toujours. Tout passe. Tout finit. Tout disparaît. Et moi qui m'imaginais devoir vivre pour toujours, qu'est-ce que je deviens? Il n'est pas impossible... Mais que je sois passé sur et dans ce monde où vous avez vécu est une vérité et une beauté pour toujours et la mort elle-même ne peut rien contre moi. "
Quelques photos dans le jardin des Invalides